Quand impression devient création
À quelques rues de la gare Montparnasse, l’Atelier Contrepoint enfant de l’Atelier 17, est un lieu à la fois secret et célèbre de Paris, bientôt centenaire, consacré à la gravure. Il a été crée en 1927 par un jeune anglais, Stanley William Hayter, peintre et chimiste ! Après quelques années passées au Proche-Orient au service de la Standard Oil Company, il a choisi l’art et Paris.
Son atelier ressembla vite a un antre d’alchimiste tant il aimait essayer de nouveaux procédés et manières. Toutes les formes de gravure y étaient pratiquées, il mélangeait sans complexes l’usage du burin, pointe sèche, vernis, acides, etc. ! Cela ne se faisait pas ! Mais « Bill » concevait plutôt ce lieu comme un laboratoire expérimental pour les artistes. Tout savoir à transmettre était conçu par lui comme en cours d’élaboration et de métamorphose.
Il connut pour cela un grand afflux de peintres désireux d’y recueillir une stimulation créative. En cette époque d’entre deux guerres, cette aspiration à la liberté concernait autant l’inspiration que la pratique du métier. Beaucoup de ses « élèves » ou plutôt, « compagnons de recherche », ont laissé un nom dans l’histoire !
La révolution de la couleur
Un de ses plus remarquables terrains de découverte a été de traiter la couleur, au moment de l’impression, autrement que comme un coloriage. Elle était pour lui la substance même de l’œuvre. Sa découverte ? Faire en sorte que l’éclat lumineux produit par la gravure vienne de la superposition de plusieurs couches de couleur posées les unes sur les autres, simultanément, sans se mélanger. La plaque est désormais conçue comme un mur recevant la lumière, qui après l’avoir percuté, la rayonne ou l’absorbe. La lumière entre dans la matière colorée, se réfracte, produit l’effet du « glacis » bien connu des peintres. La couleur n’est pas le résultat d’un mélange sur la palette mais procède de la matière colorée de l’œuvre.
Le « secret » de Hayter réside dans sa connaissance de chimiste de la tension différentielle qui se produit à la surface des fluides . Ainsi, le graveur utilise une plaque gravée unique. Il l’a travaille pour obtenir un relief où s’agencent des surfaces lisses ou vibrantes, ayant du grain, des effets de matière, afin d’accrocher ou non au passage la couleur lumineuse. Il y dépose trois couches de couleur, les unes sur les autres, chacune différemment chargée d’huile de lin. Ainsi elles se superposent sans se mélanger. La première couche est encrée à la main et concerne les tailles les plus profondes. La deuxième est posée grâce à un rouleau dur, avec une deuxième couleur saturée d’huile qui ne touche que les surfaces lisses. La troisième pellicule colorée est transposée par un rouleau mou, déposant l’encre plus dense de la troisième couleur à l’intérieur des tailles les plus larges seulement. Tel est le principe simple, aux possibilités et variantes infinies ! Tous les styles, manières d’utiliser burin, eau forte ou vernis mou y trouvent un chemin singulier.
L’effet visuel
Au-delà des effets chromatiques plus subtils et variés, quelque chose de très nouveau s’est produit : des effets visuels de profondeur, fluidité, mouvement, de basculement spatial. Ils firent choc : ce qui crée la sensation d’espace n’est pas tant la perspective que la couleur.
Ainsi cette technique de la couleur faisant corps avec le métal ouvragé se développa et engendra des œuvres d’une grande diversité. La nouvelle se propagea, le secret du procédé technique voulut être connu et bientôt arrivèrent des praticiens du monde entier pour l’apprendre à Paris. Il est vrai, Hayter avait une qualité rare : il était généreux de tous ses savoirs. Un de ses élèves, George Ball, qui devint lui aussi un graveur accompli et aimé, disait de lui : « Tout ce qu’il savait, il le partageait avec ses collègues de l’Atelier 17. Ceci me semble la marque d’un très grand professeur. »
Un atelier international à Paris
La première vague d’artistes à fréquenter l’Atelier 17 a été, entre les deux guerres, ceux qui venus du monde entier ayant choisi de vivre à Paris. Après la guerre, la deuxième vague fut majoritairement américaine. Rapidement arrivèrent aussi les sud-américains, européens, australiens. Les japonais leur emboitèrent le pas, ainsi que les taïwanais, coréens, indiens. Puis, dès que les frontières de la Chine s’ouvrirent ont vit accourir les chinois. Les artistes d’Extrême-Orient ont une très ancienne pratique de la gravure sur bois et de l’estampe en couleurs et se sentaient en cela très concernés par la découverte.
Ainsi se sont liées beaucoup d’amitiés intercontinentales qui durèrent longtemps après le retour de chacun dans son pays, elles ont entraîné dans le sillage le voyage des œuvres pour des expositions communes.
S.W Hayter a quitté ce monde en 1988. Hector Saunier ainsi que Juan Valladarés qui l’avaient assisté pendant plusieurs décennies à l’Atelier 17 ont repris les rênes. Il devint alors l’Atelier Contrepoint. Valladarés a quitté l’aventure en 2019. Mais l’atelier suscite toujours autant d’intérêt autour de la planète et Shu Lin, venue de Taiwan en 1995, a pris le relais de Juan. Elle connaît le métier, l’exerce avec maîtrise, elle est l’âme des lieux, dispense les secrets d’atelier et complète Hector Saunier dans le travail de transmission. La différence des gouts et sensibilités entre les deux « maîtres » est tout à fait dans l’esprit de l’atelier. Hector Saunier a été le grand explorateur des effets d’espace. Il en est le virtuose et maître incontesté. Il connaît toutes les manières d’évoquer l’immensité intersidérale… avec un burin, une plaque et trois couleurs… Shu Lin quand à elle aime la figuration, la nature. Elle conçoit la couleur de façon plus terrestre, sensible, vaporeuse. On pourrait caractériser Hector de graveur d’inspiration cosmique et Shu Lin de poète du monde « atmosphérique ».
Expérimentation et diversité reste la formule, l’ADN, de l’Atelier Contrepoint.
Aude de Kerros est graveur et essayiste.