Shu Lin : entre traits et couleurs

Shu Lin est née à Taiwan en 1967. Elle termine ses études à l’institut des Arts de Taïpei en 1992 et décide de se rendre à Paris deux ans plus tard. Dès 1995, elle rejoint l’Atelier Contrepoint, digne successeur du célèbre Atelier 17 de Stanley William Hayter (1901-1988), l’un des graveurs les plus talentueux et influents du 20ème siècle. Dans cet atelier, elle travaille aux côtés de l’artiste argentin et ancien proche collaborateur de Hayter, Hector Saunier. Elle y apprend le maniement des outils et grave quotidiennement des plaques de cuivre à l’aide du burin et de l’ébarboir. Elle progresse rapidement et accède vite au rang d’assistante, en charge d’apprendre aux jeunes artistes venus du monde entier à réaliser leur première plaque et à l’imprimer.A côté de cette mission essentielle de pédagogie expérimentale plus que d’enseignement, Shu Lin entreprend la création d’une œuvre personnelle diverse et variée.Si l’influence technique et philosophique de Hayter est présente dans son travail, elle a su s’en affranchir et la dépasser pour créer une œuvre personnelle diverse et variée. De ce génie du trait que fut Hayter, Shu Lin dit à bon escient : «  Il superpose un certain nombre de lignes comme pour une partition musicale. Les lignes et les couleurs sont juxtaposées, assorties, et les traces colorées. Ainsi ses harmonies se composent musicalement. »C’est pourquoi, les plaques de Shu Lin sont le lieu de vagabondage de lignes virevoltantes qui se croisent et se décroisent avec toute cette liberté que confère le trait automatique à la création. Je ne peux m’empêcher de regarder avec plaisir ce jeu spatial dans Dragonfly ou dans Les Parfums de la Terre.

Les Parfums de la Terre

Le dynamisme de la gravure de Shu Lin s’appuie sur une qualité affirmée de coloriste. En aplats juxtaposés ou en chevauchements subtils, les couleurs franches s’allient et se mettent mutuellement en valeur, par exemple dans la gravure À l’Heure Juste qui me ramène aux dernières créations de Hayter avant qu’il nous quitte en 1988.
Shu Lin apprécie particulièrement les bleus et les jaunes. Et quand les deux sont au rendez-vous, nous nous retrouvons en un Éclair dans la Banquise. L’accord des deux couleurs est subtil, aucun ne domine et l’harmonie est totale.

Banquise

Si le trait inspire l’artiste, elle le décline sur les thèmes du temps, de l’espace et de la nature qu’elle développe avec une poésie qui fait totalement partie de sa culture. Les titres ne manquent pas de nous rappeler notre environnement spatio-temporel quotidien : Après la Pluie, Astres, Nocturne, Lunaire … Je voudrais citer particulièrement La Rosée où le classicisme des fleurs est traité avec une poésie de couleurs douces tandis que le trait automatique discret mais bien présent apporte sans heurt une touche de modernisme.

Il arrive aussi que Shu Lin aborde la mythologie, peut-être en hommage à Hayter et à ses thèmes mythologiques pendant sa période surréaliste des années 1930 où il appartenait au groupe d’André Breton. Icare en fait partie dans une explosion expressionniste exceptionnelle de par ses éclats de rouge puissant.

Ou bien encore, l’artiste s’aventure dans la fable, et Sinbad le Marin trace ses voies maritimes dans une mer d’un bleu pur et vivifiant.
Pour conclure, quoi de mieux que de citer le poète Robert Marteau (1925-2011) quand il évoque sa consœur Shu Lin :
« Me revient le chant d’un oiseau dans la montagne. Est-ce une flûte? Est-ce du feu qui flambe? Le soleil se lève toujours à l’est en quelque lieu que nous soyons. Shu Lin Chen tire ses encres de couleurs des eaux et des flammes que lui révèle sa mémoire au fur et à mesure qu’elle se fortifie en cet apprentissage sans fin qu’exige tout métier – même celui qu’anime la poésie, puisqu’il s’agit de faire apparaître ce qui n’avait pas eu jusque-là de lieu. »

Pierre-François Albert
Remerciements à la Galerie Champetier pour ses notes biographiques qui m’ont été très utiles.